
Les orgies du dimanche
Le dimanche matin, à l'heure où l'écume du jour balaye la marée nocturne, je ne sais plus à quel sein me vouer. Paris se fige dans le brouillard de ma tête et vomit sur les trottoirs les oiseaux de la nuit. Ils ne volent plus, ils ont perdu l'intrépidité de leurs pattes qui se désarticulaient sur les dance-floors.
M'as-tu vu ? Tout endimanché, iPhone au point, nœud-papillon juste dénoué, errant comme un chien parmi les chiens loups. M'as-tu reconnu ? Un Borsalino de guingois posé sur une crinière dégueulasse de sueur et de sang. Avant, enfant de cœur au service d'un curé de campagne allant jusqu'à l'aider à enfiler sa soutane dans l'intimité du presbytère. Aujourd'hui, presque adulte sans cœur, à courir les faubourgs de Paris en taxi pour fuir le réel et honorer mon rendez-vous. En quelques années, le diable s'est emparé de mon corps. J'ai troqué l'enfer de la messe du dimanche contre le paradis des orgies dominicales.
Un paradis à l'abri des regards où l'entrée est réservée aux bonnes gens peu pudiques : dans un appartement cossu au cœur d'un Paris amoral et sulfureux, se déroulent des rendez-vous feutrés entre jeunes cadres dans le vent et calfreutés derrière les rideaux opaques d'un séjour. Etienne est propriétaire de cet appartement de plaisir et invite les ombres qu'il croise lors de ses errements nocturnes pour prolonger la nuit en une orgie fantasque. Elle démarre, chaque dimanche, quand la cloche de l'église attenante frappe 10 coups.
Derrière les rideaux fermés, des corps nus, jeunes mais abîmés parcourent le lieu tandis que des bougies dansent et dessinent les murs. Entrelacés sur les sofas, en mouvement constant et frénétique, les corps ne parlent pas. Ces dimanches sont animaux, les seuls bruits qui frappent contre les murs sont sexuels : l'entrechoquement des corps et les bouches qui crachent le plaisir. Derrière les rideaux fermés, le temps s'arrête comme suspendu aux caprices d'une dizaine de bonnes gens trop affairés à séduire et consommer leur désir.
Derrière les rideaux fermés, les cerveaux s'éteignent et c'est alors que s'embrasent les sexes.
Je suis assis, nu, la peau humide de sueur, sur le cuir d'un fauteuil en Chesterfield. Autour de moi, chacun s'affaire pour que naisse cette orgie magnifique. C'est étrange, j'ai comme des œuvres d'art qui gravitent autour de moi : les situations réelles sont si proches de sculptures, de peintures de grands maîtres que soudainement la pornographie de l'orgie disparaît pour laisser place à l'Art le plus pur.
A mes genoux, gît, les yeux encore ivres de Grey Goose, une version moderne de l'origine du monde de Courbet. Cette version a été remise au goût du jour par le travail acharné d'une esthéticienne aux doigts de fée. Je comprends alors toute la vulgarité et l'insanité que cette peinture aurait eue sans son titre... Cette origine du monde appartient à Emma. En rétablissant la royauté, Emma serait certainement à la Cour, batifolant dans les alcôves comme Sade faisait batifoler Juliette. En levant les yeux, blotties lascivement contre un sofa, des nymphes réinterprètent le Bain turc d'Ingres. Frémissantes et moites, les mains des unes et des autres se parcourent le corps et des soupirs langoureux semblent comme expulsés de leurs bouches. En face de ce fascinant tableau, Etienne est tel le penseur d'Auguste Rodin. Nu, le coude joint au genou, son menton sur la main, il observe, pensif et inspiré, l'entrelacement des corps en face du lui. Rien ne le rend différent de l'œuvre de Rodin si ce n'est que son sexe émerge entre ses cuisses. En face de moi, David de Michel-Ange fait de chair et de sang, aux formes si parfaites qu'il agit comme un aimant sur mon corps en fusion. Je dévore des yeux cette œuvre d'art qui respire et transpire. Quand soudain je ferme les yeux, j'entre dans l'absurdité d'un Magritte. Un imperméable noir et le borsalino vissé sur le crâne, je tombe, tombe et tombe comme dans Golconde.
Lire les textes de l'auteur,
le contacter.
sexe primé
Je fais quelques pas dans la rue. Attends… attends… cette histoire ne peut pas se finir comme ça ? « Et la morale » me narguais-je avec acrimonie ? Entre fantasmes et réalité, il y a un monde que seul ce sextoy franchira en me procurant des sensations réelles à partir d’illusions sexuelles que je m’inventerai ce soir, allongée sur mon lit. Et puis c’est tout ? Rêver sa vie ou bien vivre ses rêves ? Je m’arrête et hoche la tête vers la gauche, le profil encore illuminé par la non moins lointaine boutique. Je retourne sur mes pas, repousse les rideaux énergiquement, descends à la hâte avant de regretter mon choix, celui de l’inconnu excitant plutôt que de l’ennui rassurant.
Des énergumènes se précipitent au fond de la cave, là où une lumière rouge vient de s’allumer comme si elle indiquait que l’heure est venue. L’intrigue m’aspire dans leur direction avec l’obsession de savoir jusqu’où vais-je descendre dans mes profondeurs. Dorénavant je suis prête à entendre mes pulsions archaïques. Par ailleurs il n’est plus question de laisser mon esprit se jouer de moi en transformant cet univers en centre de loisirs, somme toute pour me protéger des désirs obscurs qui me dominent. Épreuve du feu, je compte bien voir la réalité telle qu’elle s’impose à moi.
Excitée à l’idée de libérer l’oiseau en cage vers un univers nouveau, j’accours, bousculant les âmes en émulation jusqu’à ce qu’entre deux épaules, une lucarne de lumière m’accable d’une image insensée ; une cloison dressée face à nous. Elle illumine légèrement le renfoncement plongé dans l’obscurité pour nous éviter d’entrevoir trop crûment notre propre indécence. Des trous béants de différents gabarits habillent cette façade énigmatique. Je ne tiens plus ce suspens et voudrais mettre l’œil dans l’écoutille pour savoir ce que dissimule la nuit. Des pénis sans corps sortent soudainement de l’ombre par les multiples ouvertures. Dressés devant nous, ils attendent, inexpressifs. Du rubescent à l’auburn, leur ligne érigée vers les cieux est un appel auquel certains répondent.
Guidée vers mes excès, je suis le mouvement et jette mon dévolu sur un grandiloquent sexe ébène devant lequel je m’agenouille. J’imagine l’homme à la peau brune qui se cache derrière. Sa stature impressionnante et ses muscles saillants semblent se dessiner à travers la paroi qui nous sépare. Mon voisin ? Un homme charmant ? ou le dernier des loosers ? Un violeur en cavale ? Un estropié ? Je voudrais savoir mais la connaissance reviendrait à tuer mon amant. Le fantasme est toujours plus ambitieux que le réel, raison pour laquelle certains ne s’essaient jamais à passer à l’acte au risque d’être déçus. Ils sont déjà morts pour moi.
Si seulement je pouvais jouer de mes yeux verts pour le séduire de quelques œillades assassines. Je suis certaine qu’il ne résisterait pas non plus à ma crinière ondulée qui me confère cet air tapageur de tigresse. Sans doute adorerait-il aussi ma peau ferme et bronzée dont les reliefs s’équilibrent parfaitement entre mon petit cul rebondi et mes seins rondelets. Quant à mes longues jambes, j’ose croire qu’elles lui donneraient un vertige érogène.
Il est à ma merci. Je joue le jeu par mimétisme avec mes camarades de luxure. Elles se saisissent toutes d’un des sexes vulnérables. Ensemble, nous suçons ces hommes sans visage. Démunie de tout jeu de regard et autre apparat du désir, je fais de mon mieux car je n’ai que ce double décimètre tendu devant moi pour procurer l’allégresse à cet humanoïde. Je passe ma langue le long de sa verge, sentant les ramifications de ses veinules dopées par l’excitation. Suis-je un homme ou une femme pour ce prétendant sans nom ? Qu’importe ! Aux seules sensations prodiguées, il est à l’écoute.
Son gland se love au creux des contours de ma bouche. En communion, je personnalise ce sexe car je n’ai guère que lui pour m’exciter. Je voudrais ressentir cet homme vibrer, voir ses yeux me quémander et découvrir son corps fébrile, trémuler sous mes succions appliquées. Livrée à ma propre imagination, ce lieu est définitivement celui de l’affabulation où chacun se perd aux confins de ses fantasmes qu’aucune règle ne régule. Une parenthèse enchantée s’offre à nous ; chacun en fait son échappatoire avant de remonter à la surface pour retourner sur les rails socialement édictés comme d’illustres inconnus. Certes !
Alors je profite de mon moment de gloire. J’entends les voix implorer qu’on les fasse jouir, de l’autre côté du mur. En chœur, les unes et les autres se mélangent en canon de sorte que je ne puisse distinguer celle de mon pénis ambulant. Les consonances de lamentation nous conjurent d’exprimer davantage notre éloquence buccale. J’ai l’impression d’être un disciple lors d’une messe noire où les protagonistes entrent en transe, s’influençant dans la débauche en s’adonnant conjointement et sans limite. Chacun cautionne son voisin prêcheur en agissant tout aussi hardiment. La frénésie ambiante déchaîne les démons qui nous habitent et ne s’exorcisent qu’à la nuit tombée. Je sens le sexe noir se contracturer dans ma bouche tandis que je suis surprise par cette main droite qui se fraie un chemin dans un trou concomitant afin de rejoindre ma chevelure. Cette verge a une main !